L'agacement des Parisiens lorsqu'elle évoque ses origines basques

Témoin(s) : Marie Darrieussecq

"Il y a assez longtemps maintenant, une vingtaine d’années, quand je revendiquais mes origines basques, cela agaçait les jacobins parisiens, en particulier mes éditeurs, que j'adore mais qui se moquaient un peu de moi. C'est très difficile à faire comprendre que c'est une richesse, que ce n'est pas une agression. Mon ami Hasier Etxeberria me disait : « C'est fou, à Hendaye si tu vas dans une boulangerie et que tu demandes ogi bat (un pain), on te prend pour une terroriste ». Alors à Paris c'est carrément incompréhensible. Mais bon, j'ai beaucoup écrit autour de ça, j'espère que j'ai un peu participé à faire évoluer les choses. Et puis, on vit une époque très différente de celle que j'ai connue quand j'étais jeune, la question d'identité n'est plus du tout au même endroit, la question du terrorisme n'est plus du tout au même endroit, cela change à une vitesse frénétique en fait. C'est un peu comme si la question basque était à la fois assez paisiblement résolue, et un peu oubliée aussi paradoxalement ; c'est vraiment devenu très local, et au niveau de Madrid et Paris, j'ai l'impression qu'ils ont d'autres chats à fouetter, c'est une époque très différente. Il y a du mépris pour les petits pays, il y a aussi de la culpabilité. Je rappelle que le GAL (Groupe Antiterroriste de Libération), ces milices anti-ETA, est une affaire qui n'est toujours pas résolue, c'est toujours une affaire très sombre. Du coté de Madrid, les tortures dans les commissariats espagnols et tout cela, je trouve qu'il il n'y a pas d'apaisement là-dessus encore, il n'y a pas de paroles convaincantes de Madrid. Puis, il y a eu une énorme confusion lors des attentats dans les gares madrilènes en 2004, quand Aznar a dit que c'était l'ETA. Je me rappelle très bien parce que c'était le 11 mars et ma fille est née le 8 mars ; j'étais donc à la maternité, j'avais ce bébé, j'étais complètement dans une autre bulle et j'entends Aznar à la radio dire que c'est l'ETA. Je me dis : « ce n'est pas l'ETA, ce n'est pas possible », pour des tas de raisons, cela ne pouvait pas être l'ETA. D'ailleurs Aznar commettait là un suicide politique. Sur le moment, j'ai l'impression qu'il y a eu une cassure, pour des tas de raisons. D'abord, parce que le terrorisme devenait islamiste et que les autres terrorismes nationalistes devenaient « has been ». C'est terrible qu'une violence puisse rendre désuète une autre violence, c’était poignant je trouve. Il y avait aussi une grande confusion politique et on a basculé dans une autre époque, très violemment, très brutalement. Tout ça n'est pas encore pansé, je trouve. Après il y a eu ce très beau processus de paix, même si le mot lui-même est critiqué, je comprends. Moi je suis vraiment non-violente et j'entends vraiment la voix des victimes, je suis du côté des victimes, mais je peux aussi comprendre qu'il y ait eu une aspiration indépendantiste dans ce pays ; mais rien ne justifie la violence. Cette aspiration indépendantiste a été à la fois bafouée par la violence et vraiment méprisée par Paris et violentée par Madrid, et j'ai souffert de cela. Du coup les parisiens ne comprennent absolument pas de quoi on parle, ils confondent aussi avec les irlandais ; certes, il y a des points communs bien sûr. 

Ce processus de paix était très noble avec Kofi Annan, avec Pierre Joxe, avec des voix formidables et j'ai l'impression que tout le monde s'en fout à Paris, c'est très étonnant. Moi j'écris des articles là-dessus mais après tout (sourire), cela ne regarde peut-être que nous, les Basques".


Témoin(s) : Marie Darrieussecq

Fonds d'archives : Archives de l'Institut culturel basque

Collection(s) : Entretiens "Témoins de la culture basque"

Collections de témoignage(s):

Collecteur(s) : Jasone Iroz

Date : 19-07-2018

Durée : 0:04:09

Référence : EKL-7-2

Code d'archives de l'ICB : EKL-7-2

Thème(s) : Littérature et pratiques de lecture, Identité basque


Droits et conditions de reproduction

Les contenus de cette page sont sous licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0)

Vous êtes autorisé(e) à partager et à adapter ce contenu. Vous devez cependant le créditer (CC BY-NC-SA 4.0 - Euskal kultur erakundea - Institut culturel basque - www.mintzoak.eus), intégrer un lien vers la licence et indiquer si des modifications ont été effectuées au contenu. Vous n'êtes pas autorisé(e) à faire un usage commercial de ce contenu, ou de tout ou partie du matériel le composant. Dans le cas où vous effectuez un remix, que vous transformez, ou créez à partir du matériel composant le contenu original, vous devez diffuser le contenu modifié dans les mêmes conditions, c'est à dire avec la même licence avec laquelle le contenu original a été diffusé.

Développé par CodeSyntax. CMS : Django.